Maison de la Pédagogie de Mulhouse : Retour sur une année de Rencontres-débats
Le 6 mai dernier, la Maison de la Pédagogie de Mulhouse (MPM) a organisé sa dernière Rencontre-débat de l’année 2024-2025, la 47e depuis sa création (à l’automne 2015). C’était avec une intervention de Teddy Mayeko, Maître de conférences en sciences de l’éducation à Cergy-Paris Université, sur IA et éducation, à partir de l’interrogation :
« Quand les IA rencontrent les élèves : enrichissement pour les uns, appauvrissement pour les autres ? »
La MPM consacre une bonne partie de son énergie à la mise en place de Rencontres-débats à destination de l’ensemble des acteurs de l’éducation à l’échelle locale. Quatre ou cinq fois par an, elle invite des chercheurs, des universitaires, des auteurs d’ouvrages récents, à venir éclairer des « questions vives » dans les domaines de la pédagogie, de l’école, de l’éducation, en lien avec les enjeux de notre temps et les axes de réflexion et de travail définis en toute indépendance par l’association. Force est de constater que ces temps d’information et d’échanges ne concernent pas toujours (souvent ?) un nombre de participants à la hauteur du travail fourni pour les mettre en place. Pourtant, la MPM persiste dans sa détermination à essayer de faire vivre, à l’échelle locale, un espace d’oxygénation pédagogique en privilégiant la question du pourquoi plutôt que celle du comment.
Voici les 3 autres Rencontres-débats mises en place au cours de cette saison 2024-2025.
En octobre 2024 : « La sexualité, un enjeu éducatif de premier plan », avec Yaëlle Amsellem-Mainguy
Au-delà d’une question de santé publique, l’éducation à la sexualité représente, pour la MPM, un enjeu de société qui concerne tous les enseignants et les éducateurs mais aussi les personnes en contact avec les jeunes. Toutes et tous sont nombreux à très souvent s’interroger sur leur légitimité et leurs compétences à réagir ou à répondre aux questions des enfants et des jeunes sur la sexualité, notamment lorsque celle-ci s’invite, de façon parfois brutale, en classe, dans la cour de récréation ou lors d'activités extra-scolaires.
Yaëlle Amsellem-Mainguy est sociologue, chargée de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep). Elle a été membre de la Commission chargée de la rédaction des programmes d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. Votés à l’unanimité par le Conseil supérieur des programmes en janvier 2025, ils devraient être mis en place de la maternelle au lycée à la rentrée scolaire de septembre 2025.
Yaëlle Amsellem-Mainguy était donc particulièrement bien placée pour nous faire part, à la fois, de son approche globale de la place de la sexualité dans le monde d’aujourd’hui, et des perspectives ouvertes par la définition de ce que pourrait (ou devrait) être une éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle porteuse d’épanouissement personnel, de respect de l’autre et d’émancipation citoyenne.
On aura seulement pu regretter que cette soirée (en partenariat avec le Crédit Mutuel Enseignant de Mulhouse) n’ait pas suffisamment abordé la question cruciale de la place respective des parents et des enseignants dans ce domaine de l’éducation. Et que la rencontre de notre intervenante avec des parents d’un quartier prioritaire de la Politique de la Ville ait dû être annulée par crainte de tensions et de perturbations préjudiciables à la sérénité du quartier.
En décembre 2024 : « Relever le défi écologique à l’école… et ailleurs », avec Jean-Michel Zakhartchouk
Inutile de présenter Jean-Michel Zakhartchouk aux membres de Convergence(s). Sa longue expérience de rédacteur en chef des Cahiers pédagogiques a sans doute fait de lui l’un des meilleurs connaisseurs de l’expérimentation et de l’innovation en matière de pédagogie.
C’est la parution de son dernier ouvrage, Relever le défi écologique à l’école, au printemps 2024, qui nous a fourni l’occasion d’organiser une 3e Rencontre-débat sur l’urgence écologique et l’éducation à l’écocitoyenneté, dans un format en 2 temps.
Lors de son intervention du mardi soir, J.-M. Zakhartchouk a présenté un état des lieux en reprenant une bonne partie des points forts de son ouvrage.
Il a d’abord situé la place du défi écologique dans les programmes scolaires et évoqué différents croisements de disciplines qui peuvent se révéler fructueux. Puis, il a souligné l’importance des connaissances scientifiques dans la prise de conscience des enjeux, tout en accordant une place au doute propre à toute démarche scientifique.
Il a ensuite questionné la portée de ces néologismes exprimant la place croissante des préoccupations écologiques dans la vie courante aussi bien que dans le monde scolaire.
Les éco-gestes sont-ils un alibi pour ne pas travailler sur les vraies causes du réchauffement climatique ou bien un levier, un tremplin, pour en prendre conscience ? Les éco-délégués arrivent-ils à jouer pleinement leur rôle dans l’établissement, sachant que, par ailleurs, certains parents peuvent se montrer critiques à l’égard d’activités jugées trop éloignées de la norme scolaire ? Comment aborder la question de l’éco-anxiété ? J.-M. Zakhartchouk suggère que la prise de conscience du défi écologique doit se traduire en actions et en propositions positives, pas en impuissance.
Dans un troisième temps, l’ancien rédacteur en chef des Cahiers pédagogiques a souligné les bienfaits, à différents égards, de la reconnexion avec la nature et mentionné l’existence de ressources nombreuses et très diversifiées à la disposition des enseignants. Autant de pistes de réflexion et d’action qui vont de pair avec la mise en œuvre de pédagogies actives capables de mettre les élèves dans des situations intellectuellement riches.
Le lendemain matin, J.-M. Zakhartchouk a participé à une Table ronde sur la thématique de « L’école du dehors, à la campagne et en ville » avec de nombreux invités impliqués localement dans cette pratique et qui ont pu témoigner de leur expérience.
Se sont ainsi retrouvé(e)s côte-à-côte trois enseignant(e)s (une en maternelle et deux en école élémentaire), l’adjointe à la Maire de Mulhouse chargée de l’éducation, le directeur pédagogique du Moulin Nature de Lutterbach (un Centre d’initiation à la nature et à l’environnement de l’agglomération mulhousienne), deux responsables de structures régionales : l’Agence régionale d’initiation à l’environnement et à la nature d’Alsace et Alter Alsace Energie, qui interviennent dans l’animation pédagogique en faveur de l’école du dehors et de la prise de conscience du poids de la question énergétique dans la sauvegarde de la planète.
Les témoignages et les échanges ont permis d’aborder sous des angles différents la question centrale suivante : « En quoi l’école du dehors contribue-t-elle à relever le défi écologique ? En quoi permet-elle aux enfants et aux jeunes de devenir des écocitoyens et de prendre leur place dans la société ? En sachant que, pour la MPM, la classe du dehors commence dès que les élèves sortent de la classe, quel que soit leur âge, pour pratiquer des activités diverses et variées ».
Trois heures d’échanges avec le public qui ont aussi permis aux différentes parties prenantes de mieux faire connaissance et de commencer à tisser des liens dont les premiers effets semblent déjà perceptibles : peut-être une amorce de convergences entre acteurs de l’éducation pour « relever le défi écologique » à l’échelle locale.
En mars 2025 : « Entre les murs et hors les murs : quels espaces d’apprentissages aujourd’hui à l’école ? », avec Pascal Clerc
Une Rencontre-débat en partenariat avec la section locale de la MGEN qui s’inscrit dans le prolongement du débat animé par la MPM à la Biennale 2024 de Nantes-Saint-Herblain, à partir de la question : « L’Education nouvelle prisonnière de la forme scolaire d’éducation ? ». Et c’est Pascal Clerc, Professeur émérite de géographie à Cergy Paris Université, qui a permis de prolonger et d’approfondir la réflexion avec la récente parution de son ouvrage : Emanciper ou contrôler ? Les élèves et l’école au XXIe siècle (éditions Autrement, 2024).
L’approche de la dimension spatiale de la « forme scolaire » développée par Pascal Clerc est particulièrement éclairante pour penser ce qui se passe encore aujourd’hui très souvent « entre les murs » d’une école historiquement coupée du monde et de la vie. Pour lui, l’organisation spatiale de l’école et les pratiques pédagogiques ont partie liée, comme le suggère le titre de l’Avant-propos de Philippe Meirieu à son ouvrage : « Le géographe et le pédagogue ».
C’est ainsi que l’architecture scolaire, avec ses empilements et ses alignements de salles de classe « boîtes à chaussure » identiques est plus propice au contrôle des élèves et à un modèle d’enseignement de type simultané qu’à des apprentissages selon des modalités variées, plus proches des besoins des élèves.
Pour Pascal Clerc, passer d’une école pour contrôler et enseigner à une école pour apprendre et s’émanciper, c’est repenser l’organisation de l’espace scolaire aussi bien que les relations de l’école avec son environnement, du plus proche au plus lointain, c’est tisser des réseaux avec les différentes composantes de son territoire et, via les outils de communication à distance, avec le vaste Monde. C’est rendre possibles, y compris au plan matériel, le développement de pratiques, de postures pédagogiques entravées par la prégnance de la « forme scolaire » telle que l’a conceptualisée Guy Vincent il y a près d’un demi-siècle, et actualisée par Pascal Clerc en « système classe ».
Pour finir, Pascal Clerc nous présente quelques réalisations et un projet qui, de par le Monde, nous disent qu’il peut, qu’il pourrait exister des architectures scolaires pour une pédagogie du XXIe siècle.
Retour au 6 mai, avec la Rencontre-débat sur IA et éducation
Pour l’intervenant, Teddy Mayeko, non spécialiste de l’IA, il s’agissait, en tant que citoyen éclairé autant qu’enseignant- chercheur, d’aborder les menaces que l’IA fait planer sur le devenir de l’humanité aussi bien que les retombées pédagogiques à l’échelle de la classe : « Comment l’éducation peut-elle préparer les enfants et les adolescents à interagir avec l’intelligence artificielle tout en développant chez eux une pensée critique et autonome ? ».
Loin de toute diabolisation, Teddy Mayeko s’est prononcé en faveur d’une utilisation de l’IA qu’il a qualifiée de « raisonnée, rationnelle et opérationnelle ». Pas de recours à l’IA sans, en parallèle ou en complémentarité, la construction, par l’élève, de facultés intellectuelles indispensables à l’expression d’une pensée proprement humaine, telles que l’élaboration d’un raisonnement, d’une argumentation, l’exercice de la réflexivité et de l’esprit critique. Grandir, c’est aussi, pour Teddy Mayeko, cultiver ce « goût de l’effort » auquel il vient de consacrer un petit ouvrage stimulant (L’Harmattan, 2025).
Lors des échanges avec le public, l’accent a été mis sur la nécessité de développer les pratiques éducatives qui permettent aux enfants et aux jeunes de vivre des situations d’apprentissage riches et stimulantes à l’écart des écrans, et de prendre de la distance par rapport à l’usage compulsif du numérique. Prendre en compte l’IA à l’école, c’est aussi apprendre aux élèves à s’en passer et « redimensionner » l’école dans un monde qui doit être pris et compris tel qu’il est, avec les outils de l’intelligence artificielle, sans jamais oublier ceux de l’intelligence humaine.
Même si elle n’est jamais explicitement convoquée dans nos Rencontres-débats, l’Education nouvelle n’est jamais loin : on retrouve dans chacune de ces 4 Rencontres-débats, la même prise en compte des besoins et des intérêts des enfants et des jeunes dans une perspective d’épanouissement et d’émancipation individuelles d’une part, et les défis de toutes natures à relever collectivement d’autre part.
Comme on aura pu le constater, ces 4 temps de rencontre entre le monde de la recherche scientifique et pédagogique et celui des acteurs de terrain ont en commun de proposer une approche globale (ou transversale) de l’éducation à différents niveaux :
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elles concernent les enfants et les jeunes sans distinction d’âges, de la petite enfance au lycée, voire au-delà ;
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elles ne renvoient pas à des disciplines spécifiques : toutes sont concernées en vue d’une éducation à la complexité ;
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elles supposent l’implication de toutes celles et de tous ceux qui interviennent dans le vaste champ de l’éducation, dans et hors l’école.
C’est dire à quel point ces Rencontres-débats sont des invitations à penser les interactions, les imbrications constantes entre l’éducation et la société pour comprendre et agir sur le monde d’aujourd’hui et de demain.
C’est, à sa modeste échelle, inscrire la MPM dans la voie ouverte par les fondateurs de l’Education nouvelle, qui, au lendemain de la première Guerre mondiale, entendaient donner toute sa place à l’éducation dans l’émergence d’une « ère nouvelle ».
Mais comment l’Education nouvelle peut-elle être force de propositions dans un monde en perpétuel changement, et apporter des réponses pédagogiques satisfaisantes aux enjeux éducatifs tels que ceux abordés par la MPM dans ses quatre Rencontres-débats de cette année, sans remettre en cause l’organisation spatio-temporelle et curriculaire de notre forme scolaire d’éducation ?
Jean-Pierre Bourreau
Maison de la Pédagogie de Mulhouse, 24 juin 2025